Saynète n° 13

  

 

           
« Hircan print la parolle et dist : […] “ Quant à moy, dist-il, si je pensois que le passetemps que je vouldrois choisir, fust aussi aggreable à quelqu’une de la compaignie comme à moy,  mon opinion seroit bien tost dicte : dont pour ceste fois me tairay, et en croiray ce que les autres diront. ” Sa femme Parlamente commença à rougir, pensant qu’il parlast pour elle, et un peu en colere, et demy en riant luy dist : “ Hircan, peult estre que celle que vous pensez en devoir estre la plus marrie, auroit bien dequoy se recompenser, s’il luy plaisoit : mais laissons là le passetemps où deux seulement peuvent avoir part, et parlons de celuy qui doibt estre commun à tous. ” »

Marguerite de Navarre, L'Heptaméron des Nouvelles, « Prologue »

 

 
 

Benoît Autiquet

28/03/2015

            

Coincés par la crue du Gave, les protagonistes de L’Heptaméron vont devoir passer dix jours ensemble. Contrairement à Oisille, qui renonce à tout autre activité que celle de lire les « ecritures sainctes » parce qu’elle se méfie de sa propre incapacité à « oublier toutes les vanitez », Parlamente ne refuse pas le « passetemps » sexuel proposé par Hircan, son mari, pour des raisons morales. En effet, elle « auroit bien dequoy se recompenser » des plaisirs corporels : pas de quoi en être « marrie », pas de quoi se sentir coupable. Mais le « passetemps » sexuel empêcherait la cohésion du groupe, séparerait deux personnes d’un groupe qui doit vivre ensemble. Ainsi est différé le moment où deux corps s’élisent, pour favoriser l’épanouissement d’une communauté dont les membres sont contraints de se lier par les circonstances.

Je pense à une scène des Valseuses, où Gérard Depardieu, flanqué de Patrick Dewaere, dit à deux jeunes filles qu’il rencontre au bowling : « On va pas paumer notre soirée à faire les guignols avec des boules au bout des bras. Comme de toute façon ça va se terminer à l’horizontal, autant y aller tout de suite, vous trouvez pas ? » - « Qu’est-ce que vous en savez si on va se retrouver à l’horizontal ? », répond une des jeunes filles, et elles s’en vont en se récriant et en les traitant de « paysans ». D’un côté, refus de l’activité sexuelle, attitude effarouchée, mépris social ; de l’autre, mauvais garçons maniant avec brio la langue d’Audiard, simplicité des relations enfin dénuée de toutes conventions bourgeoises. Le genre de scène qui fait certainement rire sans réserve ceux pour qui le féminisme, déviance petite-bourgeoise ou importation de la pudibonderie nord-américaine, a dégradé les relations de séduction entre les hommes et les femmes. Pour ma part, j’apprends de Parlamente qu’il n’est pas moins naturel et plaisant de former un groupe avec celles et ceux que je dois fréquenter - parce qu’ils appartiennent à un groupe auquel j’appartiens, au moins temporairement – que de faire l’amour. Et je m’étonne que, malgré la proximité temporelle, ma plus grande familiarité avec le cinéma, le rire que déclenche en moi certaines scènes des Valseuses - toutes choses qui me porteraient à aimer Blier -, je préfère, après un effort de lecture et de relecture de ce texte que je dois lire parce que c’est mon métier, me lier avec Marguerite de Navarre.


   

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