Saynète n° 11

  

 
           

« Il f... le camp, voilà le terrible. Quand on se plaque, c’est après une scène, n’est-ce pas, ou un décollage petit à petit ? Eh bien, ma chère, lui, il f… le camp au milieu d’une phrase, en fermant la porte derrière lui, ou bien il s’en va acheter des cigarettes, et on ne le revoit plus que sous la forme d’une lettre d’adieu très bien écrite, épatante... »

 

Colette, Œuvres complètes, L'Entrave, Flammarion, 1949, p. 344

 
 

Natacha Israël

28/02/2015

            

Est-il possible de (se) quitter, de finir une relation amoureuse, avec civilité ?

Scénario impensable :

« Mon amour, tout à l’heure j’ai négligé de te dire que je ne t’aime plus trop…

-       Plus trop ? Ça veut dire juste assez, bien comme il faut ?

-       J’aime encore ton sens de l’humour, mais ta compagnie, tes bras, tes lèvres, tout ça, je ne sais pas, je sens comme un poids sur moi tout à coup… Souviens-toi comme hier nous aimions la vie en nous aimant ou même en craignant d’avoir perdu l’amour de l’autre, en risquant tout pour le rattraper, en…

-       Pardon de t’interrompre mais, si je comprends bien, cette vie te pèse soudainement, en me voyant ?

-       C’est bien ça.

-       Je n’ai rien vu venir, j’en suis désolée…

-       Ne m’en veux pas et restons-en là. S’il te plaît. 

-       Si mon cœur est brisé, ta négligence est réparée et je t’en sais gré.

-       C’est moi qui te remercie d’avoir toujours si bien su m’écouter. »

Scénario vérifié en règle générale : pupilles dilatées, yeux exorbités, pleurs spontanés, objets propulsés, verre brisé, portes claquées, sang pressé dans les artères, paralysante culpabilité, élocution difficile sinon incapacité à articuler, … Certain(e)s iront jusqu’à la/le retenir par la jambe ou par le paletot : peu urbain. D’autres se jetteront illico dans la rue pour y trouver du tabac, un bar, s’y soûler, rouler sous une table ou un autre corps, sans attendre, et se réveiller près d’un étranger en éprouvant son propre corps comme un étranger : incivilités !

La lettre n’est pas si moche. Elle est encore un silence, parce que la voix s’est tue, mais tissé de jolis mots – tissé parce que quelqu’un a travaillé et joli à proportion de l’effort fourni… Criarde aussi, à cause de ses artifices trop manifestes, mais avouons-le, le coup est moins rude, quoique personne ne songe à dire « merci » !


   

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