Saynète n° 40

 

 

« Vous le savez, tout le village nous appelle « les taciturnes ». On dit que nous sommes les enfants de la Muette et que notre bouche ne nous sert qu’à manger, jamais à parler. Très bien. Soyons-en fiers. Si cela peut éloigner les curieux et faire enrager les corneculs, va pour les taciturnes. Mais que ce silence soit pour eux pas pour nous. Je n’ai pas vécu tout ce que vous avez vécu. Il est probable que je crèverai à Montepuccio sans avoir jamais rien vu du monde que les collines sèches du pays. Mais vous êtes là, vous. Et vous savez bien plus de choses que moi. Promettez-moi de parler à mes enfants. De leur raconter ce que vous avez vu […]. Promettez-moi que chacun d’entre vous racontera une chose à mes enfants. Une chose qu’il a apprise. Un souvenir. Un savoir. Faisons cela entre nous. D’oncles à neveux. De tantes à nièces. Un secret que vous avez gardé pour vous et que vous ne direz à personne d’autre sans quoi nos enfants resteront des Montepucciens comme les autres. Ignorants du monde, ne connaissant que le silence et la chaleur du soleil. »

Laurent Gaudé, Le Soleil des Scorta, Paris, Acte-Sud, 2004, p. 148

 
 


Virginie Huguenin

23/04/2016

La mère a beau avoir été muette jusqu’à sa mort, ses enfants sont bien là. Ses petits enfants sont là. La famille est là, réunie autour d’une table. Cette famille, c'est leur monde. Cette table, c'est leur monde. Ensemble, ils s’assoient et mangent, parlent, mangent et parlent. Parlent. Parlent

J’imagine une table ronde où il resterait une place où je pourrais m’installer. Dans le récit incroyablement généreux de cette expérience du partage d’un bon repas que nous connaissons tous, (que nous devons tous connaître), le texte m’invente cette place et m’installe à leur table. Je deviens la sœur des Taciturnes mais comme eux, je sens, je sais que ne cesserai pas de parler.

Et en lisant ces lignes, je me fais la promesse de réunir mon monde autour d’une table où nous pourrons partager un repas, une parole, une histoire. Par delà ce que la vie aura fait taire en nous. Nous mangerons. Nous boirons, nous mangerons et nous discuterons avec joie, bruit et exagération.

La mère a beau avoir été muette, ses enfants sont toujours là.

 

 

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