Sablier n° 6.1.

 

La sortie d'une heure n°1
 


Guido Furci

27/04/2020

 

J’essaie de profiter quelques instants de la lumière naturelle sans rien faire. Je ne veux pas décider d’avance où aller. Je ne veux pas non plus perdre cinq minutes à y réfléchir. Je m’en accorde deux, à l’arrêt de bus juste devant chez moi.

Je sais que j’aurais envie de revoir le chapiteau du Cirque Électrique. Et que j’aimerais traverser la place Édith Piaf, dont la petite statue qui chante avec tout son corps me met toujours de bonne humeur. J’aime beaucoup le Jardin Serge-Gainsbourg (c’est parce que j’aime et j’ai peur des passerelles surplombant le périph). J’aime aussi le Belvédère Willy Ronis, où j’avais pris l’habitude d’aller tous les dimanches en fin d’après-midi, en sortant des spectacles du théâtre de marionnettes El Clan Destino.

C’est une farce. Je veux me donner l’impression de choisir, alors que si je suis sorti, au fond, ce n’est que pour reparcourir une fois de plus le même itinéraire que d’habitude, le trajet que j’ai effectué à intervalles réguliers depuis le début du confinement, comme s’il s’agissait d’un circuit sportif, d’un exercice fait pour être répété.

J’irai au Passage des Soupirs. Ça fait Venise, et ça n’a rien à voir.

Pavillons en pierre de meulière du XIXème siècle, maisonnettes en briques, habitats aux allures futuristes et éco-responsables, quelques immeubles des années 60 qui me rappellent « Fahrenheit » (le film de Truffaut, pas le roman, dont je n’ai jamais été capable de visualiser mentalement aucune scène, aucun des personnages).

Un peu plus d’un quart d’heure pour y arriver = presque une demi heure sur place.

Je peux faire plusieurs allers retours sur la ruelle pavée, imaginer ma vie dans un loft vitré (ce serait nul), observer les chats, les mésanges qui prennent possession des gouttières, les gendarmes (!) en file indienne.

CHAQUE LIMITE A SA PATIENCE

Quelqu’un a imprimé le message sur une feuille A4 et l’a affiché à sa fenêtre.

Je pense à l’ouverture polysémique du premier terme. Puis à « la patience », le jeu de cartes qui me rappelle la génération de ma grand-mère, les après-midi à la plage dans l’attente de pouvoir se baigner après le repas, les jeux vidéo que tout le monde avait sur l’ordinateur fixe de la maison, au moins jusqu’à il y a dix ans.

Je ne me souviens d’aucune histoire de science-fiction où les enfants ne doivent pas se rapprocher des vieux par peur de les tuer.

J’ai plusieurs centaines de mètres pour passer en revue les titres et les auteurs que j’ai en tête - et sous mon masque.

Il doit y avoir quelque chose « dans le genre ». The Girl with All the Gifts ? Pas vraiment. But still, comme dirait Agnès.

Paris, 21 avril 2020

 

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