Sablier n° 3.4.

 

Etrangetés et solitudes n°4
 


Hélène Merlin-Kajman

04/04/2020

Dans la semaine précédant le confinement, j’ai commencé à changer de vêtement tous les jours sans les ranger. Je les étalais côte à côte comme s’ils avaient chacun un potentiel viral inconnu.

La décision s’est imposée quand j’ai compris qu’on ne comprenait rien. Mon idée était de faire une sorte de roulement entre eux, à tout hasard.

Mais je m’y perds. Je ne sais plus quel est leur ordre, ni n’ai su les séparer de manière méthodique.

Entre-temps, j’ai attrapé ce truc, le covid-19. Je ne risque plus rien. Je devrais pouvoir les ranger dans mon armoire.

Je n’y parviens pas. Il y a là comme une vie louche qui m’entoure, que j’assoupis comme je peux.

Je sais que c’est faux bien sûr : ces vêtements ne sont pas infectés. Mais des couches d’air et de sens se sont embrouillées. Mes vêtements sont comme des présences inquiétantes et cependant familières. Les fantômes des jours égrenés. Des jours qui, pour l’instant, tournent en rond. Des peaux d’animaux qui muent, comme si la mue s’était affolée.

C’est peut-être ma manière de penser aux corps absents.

Dans mes rêves, dès le premier jour du confinement, le coronavirus s’est invité. Cette nuit, j’ai rêvé que je sortais sans mon attestation, et nue. Pour me cacher, je me glissais dans une enveloppe, un peu comme une lettre, un peu comme une peau dont elle avait la couleur. Je me pliais le corps, je le glissais dedans, et je refermais les pans encore ouverts de l’enveloppe à la manière d’un kimono avant d’ajuster sa ceinture comme on retire le ruban adhésif de l’enveloppe pour la cacheter et l’envoyer.

Pourtant, nul kimono dans ces habits étalés ni nulle part dans mes armoires. J’ai une robe de chambre en laine des Pyrénées grise avec un cordon, gris aussi. A part sa couleur, c’est la même que lorsque j’étais enfant et que, malade, il fallait rester au lit de longs jours d’ennui à relire les mêmes livres en attendant que le temps passe…

C’est cela qui est étrange, à quel point, seule avec moi-même par le hasard du confinement, je me souviens de ces jours de l’enfance où tout se déformait autour du plafond, des draps blancs, du lit fraichement refait tous les matins, seul moment où j’étais invitée à m’installer provisoirement dans un fauteuil. Je me souviens des tisanes au tilleul que j’abhorrais, de la sieste pendant laquelle je ne dormais pas mais qu’il fallait faire pour se reposer, pour guérir. Et guérir était si long, si long, si long.

Je me souviens de la lumière, blanche aussi, que les doubles rideaux tirés tamisaient à ce moment de la sieste. Je déteste les doubles rideaux depuis ces jours malades. Les bruits de la famille devenaient étranges. Tout s’enfonçait un peu, tout coulait comme du sable.

Mais il n’y avait rien alors de tout ce qui aujourd’hui accompagne ces sensations. Rien : c’était l’enfance, c’était encore l’enfance, une enfance arrêtée momentanément mais sans responsabilité aucune et en ce sens sans souci, seulement immobilisée dans le flou nauséeux d’un présent sans menace.

Ces souvenirs font une sorte de halo autour de moi, comme de la ouate. Elle me confine, elle me protège – un peu.

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