Exergue n° 88

 

« Un jour que je regardais le guignol Anatole aux Champs-Élysées, un chien entre en scène, une tête de chien grosse à elle seule comme deux personnages. “Regarde le monstre”, dit une mère. “Ce n’est pas un monstre, c’est un chien”, dit le petit garçon.

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Au théâtre, les hommes retrouvent la férocité des enfants, mais ils ont perdu leur clairvoyance. » 

Jean Cocteau, « Le Coq et l’Arlequin. Notes autour de la musique » (1918),
dans Le Rappel à l’Ordre, Paris, Stock, 1926 (rééd. 1948), p. 32.

 
 


Lise Forment

21/09/2013

 

Ces deux fragments, mis bout à bout, m’intriguent. Que signifie leur succession ?

(Ce que je crois comprendre) L’enfant, plus clairvoyant que sa mère, suspend tout sentiment d’incrédulité – la grosse tête défiant la règle des proportions est un chien. Un point, c’est tout. La mère, qui férocement montre le monstre, croit voir mais s’aveugle. Elle n’entre qu’à demi dans le jeu de la représentation. Il y a alors méprise, malentendu, contresens.

(Ce que je pourrais en conclure) Au théâtre, semble dire Cocteau, le spectateur devrait se faire enfant, l’être ou le redevenir, pour que transite, de la scène à la salle, l’effet orchestré par le mime.

(Un doute point, qui me point) Et si la mère, en dépit de son erreur, tombait juste ? Il faut bien aussi reconnaître le monstre, non ?