Exergue n° 114

 

« Par la pensée analogique et symbolique, par l’illumination lointaine de l’image médiatrice, et par le jeu de ses correspondances, sur mille chaînes de réactions et d’associations étrangères, par la grâce enfin d’un langage où se transmet le mouvement même de l’Etre, le poète s’investit d’une surréalité qui ne peut être celle de la science. Est-il chez l’homme plus saisissante dialectique et qui de l’homme engage plus ? Lorsque les philosophes eux-mêmes désertent le seuil métaphysique, il advient au poète de relever là le métaphysicien ; et c’est la poésie alors, non la philosophie, qui se révèle la vraie "fille de l’étonnement" selon l’expression du philosophe antique à qui elle fut le plus suspecte. »

Saint-John Perse, « Allocution au banquet Nobel du 10 décembre 1960 »,
in Amers, Paris, NRF, Poésie/Gallimard, p. 168. 

 
 



Gilbert Cabasso

29/03/2014

 

A quel point nos propres entreprises paraissent brouillées, à l’aune de telles relèves ! Il nous manque le programme de véritables redistributions de nos tâches, l’énergie d’une pensée-manifeste, l’exigence de qualités transitives capables d’ordonner, au sens que l’on voudra donner au terme, la définition de nos propres engagements. Retournant au geste fondateur de la philosophie, renouant avec la vocation de la Question, les noces, jadis rompues, de la poésie et de la vérité devraient à nouveau être célébrées. Mesure-t-on qu’à croire répondre aux urgences du temps, à ses impatiences fébriles, nous nous condamnerions au deuil de toutes vérités, autant de celles de la science que de celles de la poésie ? On s’étonne presque d’entendre la voix de Saint-John Perse, l’intemporel, nous le rappeler avec une telle clairvoyance.

J’écoute, apaisé, la parole des évidences oubliées :

« Il fait si calme et puis si tiède,

Il fait si continuel aussi

Qu’il est étrange d’être là, mêlé des mains à la continuité du jour »

(Eloges, V)