Exergue n° 178

 

 

 

 

Pour qui donc la question se poserait : « la maladie du deuil est-elle une formation autonome ou seulement un épisode survenu au sein d’une problématique névrotique ancienne ? », la constance du rêve des « dents » – évoquant un conflit de transition – autorisera cette réponse : la maladie du deuil s’insère dans un cadre plus large et plus général, dans celui des troubles propres aux périodes des transitions et dont elle ne représente qu’un cas particulier.

Maria Torok, « Maladie du deuil et fantasme du cadavre exquis », in Nicolas Abraham et Maria Torok, L’Écorce et le noyau, Flammarion, 1987, p. 250-251.

 
 

 

Augustin Leroy

06/04/2019

 

Les dents qui poussent, tout comme les amours finissantes, font mal à la bouche, jusqu’à ôter la possibilité de la parole et du cri. La transition implique un mouvement, celui du devenir. Pour autant, ce mouvement n’est pas nécessairement une évolution conduisant à l’épanouissement de soi. Je dirais plutôt que la transition est « merveille », au sens que l’on donnait autrefois à ce mot : qui étonne par son caractère magique, surnaturel, bouleversant. D’où cette idée qu’il y a des « conflits de transition », que les périodes de transition sont des périodes de troubles à l’issue radicalement incertaine.

Les métamorphoses de la peau, comme l'apprentissage du langage et les histoires d’amour qui débutent, excitent le tremblement des lèvres. Comment mesurer ce qui se jouera à l’avenir, comment accueillir le mouvement du devenir sans avoir la moindre certitude d’un lendemain heureux, structurant, bénéfique ? Maria Torok, psychanalyste, invite à prêter attention aux « vicissitudes des périodes de transition », dans la mesure où elles occasionnent aussi bien l’augmentation du moi que sa pétrification : non parce que je n’aurai plus jamais de dent ou d’histoire d’amour, mais parce que je peux fixer en moi, brutalement, la terreur que les dents ne sont pas faites pour moi, que l’amour me fuit, que la vie n’est qu’une série de désespoirs.

L’expérience du deuil s’inscrit dans la biographie d’un individu qui, s’il n’avait pas nécessairement envisagé la possibilité concrète de la mort, a déjà vécu des transformations : dents de lait, dents d’adulte. Pourtant, certaines pertes sont plus aisément intégrables que d’autres, non parce qu’elles sont objectivement hiérarchisables mais parce qu’elles s’articulent aux zones psychiques où, possiblement, a été fixée la terreur de la perte. Celle de mes dents, de mes amours.

Tomber amoureux, apprendre à lire, dire adieu : trois périodes de transitions où les individus pourraient être en état de nudité extrême face aux aléas de l’existence. C’est pourquoi il me semble crucial d’avoir une approche transitionnelle des périodes de transition, c’est-à-dire, ne pas abandonner l’autre – et cet autre peut aussi être un « tu » intérieur – à sa terreur et à sa solitude. En un mot, une transition, comme une naissance, se fait au moins à deux.

Ainsi, bercer le nourrisson qui souffre de ses dents, adoucir le choc des dents chutées par le merveilleux passage de la petite souris, lui apprendre à lire en lui lisant des histoires, le doigt sur les mots et la voix chargée d’émotions, de façon à ce que, lorsqu’il mordra ou perdra les objets de ses amours, il puisse surmonter les « conflits de transition » sans craindre d’être perdu à tout jamais.

 

 

 

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