Exergue n° 174

 

 

 

 

[…] la différence est l’allure même d’un poudroiement, d’une dispersion, d’un miroitement ; il ne s’agit plus de retrouver, dans la lecture du monde et du sujet, des oppositions, mais des débordements, des empiètements, des fuites, des glissements, des déplacements, des dérapages.

Au dire de Freud (Moïse), un peu de différence mène au racisme. Mais beaucoup de différences en éloignent, irrémédiablement. Égaliser, démocratiser, massifier, tous ces efforts ne parviennent pas à expulser « la plus petite différence », germe de l’intolérance raciale. C’est pluraliser, subtiliser, qu’il faudrait, sans frein.

Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, Œuvres complètes, Seuil, t. IV, p. 648 (« Pluriel, différence, conflit »).

 
 

 

Lise Forment

03/11/2018

 

 

Barthes encore ? Oui, Barthes encore : ses citations se multiplient comme des petits pains sur le site de Transitions (ici et , et aussi celle-ci, et là encore, et l’on en trouve toujours de nouvelles). Il serait facile, dès lors, de donner à cet exergue l’allure de l’auto-dérision que lui-même aime adopter dans Roland Barthes par Roland Barthes, et qu’il emprunte dans ce fragment en particulier, intitulé « Pluriel, différence, conflit ». Sur ses tics de pensée et de langage, Barthes ironise : « Il recourt souvent à une sorte de philosophie, appelée vaguement pluralisme », « de même, la différence, mot insistant et très vanté, vaut surtout parce qu’elle dispense ou triomphe du conflit ».

Dans notre Transitions par Transitions, nous pourrions sourire pareillement de nos mots chéris, de nos mots manas et manies lexicales.

Mais nous devons aussi prendre au sérieux l’insatisfaction qu’exprime Barthes, et soutenir à notre tour l’effort de définition qui, malgré tout, succède à l’exorde railleuse. Si nous résistons au quasi-réflexe de la pluralisation (pas toujours, comme le prouvent les « partages transitionnels » de notre séminaire…), nous vantons nous aussi la productivité critique et théorique de la différence (ou du différend, ou de la différance), son importance éthique ou politique pour « subtiliser » nos discours et nos engagements, sans abandonner l’horizon conflictuel et conciliateur de la démocratie au pur litige. Mais peut-on se contenter d’images pour décrire l’efficace de la différence ? Barthes écrit : poudroiement, dispersion, miroitement, débordements, empiètements, fuites, glissements, déplacements, dérapages ; nous aimons aussi tout ce qui « échappe » ou « résiste », tout ce qui « coince » ou « cloche », tout ce qui est « tremblé » ou « bougé »…

Plutôt que de multiplier ces métaphores de la différence, de s’abriter derrière les images de son mouvement (si commodes pour « faire Mouvement »), ne faudrait-il pas tenter d’assumer, plus explicitement, nos valeurs ? Par quoi vaut donc la transitionnalité ? Non par les dispenses et les triomphes qu’elle pourrait nous offrir – même s’ils existent bien dans le plaisir de dire l’impropre, de déjouer le conflit sans le taire –, mais par la manière dont elle nous oblige : don et contre-don du texte et du commentaire transitionnels. Cette manière, on peut peut-être la nommer : souci de soi et d’autrui, soin des liens, délicatesse de l’adresse. Les métaphores ne sont jamais loin, mais je crois que toutes ne se valent pas, ni conceptuellement ni éthiquement.

 

 

 

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