Abécédaire

 
 Lumière n° 3
 
 


Michèle Rosellini

14/03/2015

Lumière : lux, lucis, Luce, Lucia.

Sainte Lucie se célèbre le 13 décembre par l’illumination des maisons, des églises, des places, des appuis de fenêtre.

En Corse ce jour-là les mères baignent d’eau de mer les yeux des nouveaux-nés. Une légende locale raconte qu’une Lucie, à Syracuse, voulant se consacrer à la Vierge Marie et rester vierge elle-même s’est arraché les yeux et les a jetés à la mer, car par les yeux passe la séduction. Un miracle les lui a rendus des « plus beaux et plus lumineux » (ochji belli e lucenti). Sur les rivages de la Méditerranée on recueille comme porte-bonheur les « yeux de sainte Lucie », qui sont les opercules orangés d’une espèce de coquillage. Présence solidifiée du feu dans l’eau.

Lucie est un sujet de peinture. Avant que ne soit connu par la Légende dorée l’épisode des yeux arrachés, elle tient une lanterne sourde. On la voit telle sur un retable du XIIIe siècle au musée de Grenoble : debout, face au spectateur, les yeux grands ouverts.

Par la suite les peintres divergent : faut-il représenter la sainte paupières closes sur le vide du regard, ou grandes ouvertes sur les yeux régénérés ? Dans les deux cas, elle tient dans une main ses yeux arrachés : posés le plus souvent sur un plateau, ou au bout d’une tige comme d’étranges fleurs.

Zurbaran a peint ces deux états, on ne sait dans quel ordre. Le tableau conservé à Chartres montre le visage de Lucie de trois quarts, paupières closes, légèrement incliné vers le plateau qui porte ses yeux : au centre de la composition, ce sont eux qui regardent, intensément, le spectateur. Sur le portrait de la National Gallery à Washington, l’œil droit, seul visible dans un visage dont le profil gauche est noyé d’ombre, fixe le spectateur, sans aucune attention pour les yeux que la sainte continue d’exhiber sur leur plateau et que l’ombre engloutit presque. La lumière s’est concentrée dans le regard vivant : lumière miraculeuse ou attisée par l’expérience de la mutilation ? Ainsi, revenant à la Lucie aux paupières closes, on est invité à lui supposer un regard du dedans, attentif à l’invisible. Juxtaposés, les deux tableaux font éprouver comme un mystère la lumière du regard.

Par la peinture, Lucie habite son nom. 

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