Abécédaire

 
 Ignorance n° 2
 
 


Gilbert Cabasso

14/03/2015

 

Comment la savoir, celle-là, qui se dérobe, se méconnaît jusqu'à se déguiser en son contraire ? Il suffit parfois que nous en soyons l'objet. Elle apparaît alors, brutale : « Tu ne me vois pas, tu ne me parles pas. Je ne suis plus rien ni personne ! Entre toi et moi, cet effacement que je perçois, que je ne peux percevoir qu'à la condition que je te sache et me sache, et me découvre ignoré de toi. Je sais cela, que tu ne me regardes même pas, moi. Regarde-moi ! Nomme-moi ! Considère-moi ! Plus tu m'ignores et plus ce misérable « moi » devient le centre du monde ! Tache aveugle pour lui-même. »

Faire le sage choix de s'oublier soi-même, d'effacer son propre et douloureux effacement, n'être plus que l'accueil des choses et des autres. Laisser être, naître, renaître. Ainsi surgit cette étrange et paradoxale conscience, pleine et vide à la fois, de ne pas savoir. Non pas la bêtise contradictoire qu'on attribue parfois à un Socrate mal compris (« La seule chose que je sache, c'est que je ne sais rien... »), mais bien cette ignorance humble et juste que Platon lui fait dire : « ce que je ne sais pas, je ne crois pas non plus le savoir ». Conscience inaugurale, ouverte et lucide, « docte ignorance » de nos propres limites, offrant le chemin d'une quête incertaine vers...quoi ? 

Se répéter sans rire la forte aporie du sophiste antique : comment peut-on apprendre quelque chose qu'on ne sait pas ? demandait-il. Si on ne la connaît pas, c'est impossible, et si on la connaissait, pourquoi aurait-on à l'apprendre ?

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