Abécédaire

 
 Exil et Flou
 
 


Franck Allegret

24/01/2015

D’Ovide j’ai lu : les raisons de son exil restent floues.

Pourtant je me souviens de Tomis en été. La côte y est sauvage et charmante, bien loin de l’urbanisation décadente d’Ostie ou de l’air vicié de Rome. Elle ignore les rigueurs des hivers sulmoniens. Je vais m’y exiler. Là-bas je serai bien.

Il est vrai que personne n’y connaît le latin, qu’on n’y lit point Horace ou Tibulle ou Properce. A peine y accosta le génie de la Grèce et encore ce n’est qu’une histoire de sang : Jason y découpa un enfant. Triste mythe. Tant pis il faudra bien que je me mette au scythe.

En face de la ville une îlette m’attend. Je m’y ferai construire un bel appartement. Chaque pièce y sera un feuillet de roman, comme à Hauteville House, au sud de Guernesey, mais en plus lumineux et en moins arrosé.

Île, patrie universelle de tous les exilés, Ventotene, Sainte-Hélène, Más a Tierra et la terre qui roule dans cet autre océan, plus vaste et plus obscur que ne l’est le premier.

Les matins de mer calme je m’en irai pêcher. Et sur l’après-midi, je ferai un traité. J’y parlerai poissons, techniques d’hameçons, barquettes et rafiots, filets et avirons, puisque traiter d’amour peut mener en prison depuis que l’Empereur est un vieux pudibond.

Les matins de mer calme je m’en irai rêver de ma barque un berceau sur le roulis des flots, promenant mon regard sur les nues chimériques comme un air de saudade aux confins d’Amérique.

Par l’espace et le temps, l’exil m’a éloigné de ma femme que j’aime et dont je suis privé. La distance et les jours creusent insidieusement un puits d’oubli immense où s’abîme l’espoir. Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir. Et seul face à la mort je m’enchante et me mens. Des Tristes je ne veux, ni des mélancolies : mon exil ne floue pas les visages amis.



   

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