Abécédaire

 

 
Prunelle
 
 


Tiphaine Pocquet

04/05/2019

 

Le sens le plus ancien désigne cette petite prune à qui le suffixe accolé donne une délicatesse d’oiseau. Pourtant la prunelle, à la différence de sa consœur la ronde prune, se consomme essentiellement sous forme liquide dans une eau-de-vie ou une liqueur à la recette cachée, remontant à un Moyen Âge fantasmé d’herbes guérisseuses et de noirs sortilèges. Car la prunelle voyage, entre le bleu et le noir, le sucré et l’acide, l’épine protectrice et la douce rotondité.

Même flottement quand on entre dans le sens figuré, oculaire, bien connu et pourtant difficilement situable. En effet, les coupes anatomiques de l’œil nous montrent l’iris, le cristallin, la pupille, la rétine mais quid de la prunelle ? Sa noirceur la rapproche, semble-t-il, de la pupille, pourtant on trouve des prunelles bleues, d’émeraude, flamboyantes et donc de feu ; la prunelle devient alors iris. Et elle finit par désigner le regard lui-même, langoureux ou amoureux, pour ceux qui jouent de la prunelle comme le fameux « tourneur de prunelles » de La Fontaine.

Reste l’emploi en comparaison, avec des verbes appréciatifs qui font de la prunelle une image de l’objet précieux, de l’attachement vital. Tenir à quelqu’un comme à la prunelle de ses yeux : aucune incertitude ni flottement ici, semble-t-il, l’œil devient le comparant idéal pour hyperboliser le prix d’un être ou d’une chose, aussi nécessaire que le sens de la vue. Ce qui n’empêche pas une touche d’humour involontaire dans certains emplois. Il semble ainsi que l’Angleterre tout entière tînt à Winston Churchill comme à la prunelle de ses yeux, selon Charles de Gaulle. Et voilà que le brouillard revient, car de quelle prunelle s’agit-il, celle de Churchill ramené à une infimité dérisoire ? Ou plus sûrement celle de l’Angleterre. Mais a-t-on déjà vu un pays battre de la paupière, même pour Churchill ? La personnification un peu douteuse témoigne pour le moins que la prunelle obscurcit le sens ou s’envole à tire d’ailes dès qu’on tente de la cerner. À défaut de savoir, on est alors tenté de goûter, buvons la prunelle, comme on croque une mûre ou un morceau de pain ou dans un geste rageur, écrasons là et brisons cette définition !

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