Abécédaire

 

 

Faconde n° 1




Virginie Huguenin

21/01/2017



Mot trompeur. Je le pensais classique – je croyais l’avoir lu dans une pièce de Molière – mais il n’en est rien. En effet, si le Thrésor de Nicot le cite au XVIe siècle, le mot « faconde » n’était plus en vogue au siècle suivant et ni Furetière ni l’Académie n’en font mention dans leurs colonnes. Il revient pourtant au XIXe siècle dans un emploi vieilli ou littéraire pour désigner ce à quoi il réfère encore aujourd’hui:

1) Une grande facilité de parole

mais aussi

2) Un bavardage excessif, une incontinence verbale.

Les synonymes du mot « faconde » renforcent ce deuxième sens : caquet, verbiage, jactance, baratin qu’il faut absolument faire taire. Alors moi-même je me tais et puisque plus personne ou presque n’emploie ce mot désormais désuet, essayons autre chose et oublions un peu ce que l’on sait.

Je choisis de faire de la faconde une danse, proche du « catale trêve trêve et espère » des Cronopes et Fameux de Cortazar. C’est une danse dont la mesure se bat sur des silences uniquement. Elle ne commence en effet que quand tout le monde se tait, attentif aux autres et à soi-même. Elle se pratique à plusieurs, en un vaste cercle imparfait formé par nos bras étendus. D’une simplicité gaie et gracieuse, elle ne demande rien qu’un peu d’entente entre les danseurs, qu’un peu d’indulgence pour les nouveaux qui entrent dans le cercle jamais fermé, jamais fermé. Souvent, les mains se lâchent et se rattrapent, les corps se cognent et on n’en finit pas de s’excuser. La danse menace sans cesse de s’arrêter mais il y a toujours quelqu’un pour la relancer : c’est dans ce péril adouci par deux pas de côté que la faconde déploie toute sa beauté. Il arrive qu’elle se danse sur des terres d’expropriés, sur des frontières fermées ou dans des banlieues sales et sinistrées.

La faconde, danse longtemps rêvée, est en passe de devenir très à la mode.