Abécédaire

 

 

Difficulté




Lise Forment et Brice Tabeling

03/12/2016

 

 

ELLE : Pourquoi faudrait-il donc aimer la difficulté ? Antienne connue, à quelques notes près : « une difficulté n’en est plus une, à partir du moment où vous en souriez, où vous l’affrontez » (parole de scout), « la difficulté de réussir ne fait qu’ajouter à la nécessité d’entreprendre » (conseil de Figaro souvent repris par Le Figaro), « les amoureuses galères forgent le caractère » (proverbe apocryphe, souvenir de magazines féminins), « ce n’est pas le chemin qui est difficile mais le difficile qui est le chemin » (pointe philosophico-kierkegaardienne), « l’art naît de contraintes, vit de luttes et meurt de liberté »… et « commence avec la difficulté » (version esthético-gidienne). J’en passe. Et je m’énerve. Ces beaux éloges de l’épreuve, vraiment, ils surmontent fissa la souffrance de la difficulté, comme si elle était sans coût, un court arrêt sur le chemin triomphal de la réussite et de l’accomplissement.

LUI : Mais on peut contourner ces maximes et ce qu’elles semblent oublier, à grandes enjambées de vainqueur, de la douleur et de la peine. La difficulté, disent-elles surtout, laisse ouverte la possibilité de la réussite ou de l’échec. À la limite, la difficulté ne dit qu’une chose : il y a un chemin (ardu) et une issue (sans garantie). La difficulté, c’est le contraire de l’impossibilité. N’est-ce pas d’ailleurs là que réside le charme (un peu facile) de la difficulté ? On te propose une énigme et dans le moment même où on te dit « c’est difficile », on te dit aussi : « c’est possible ». On peut y jouer longtemps et cela notamment parce qu'on ne cesse de te dire que cela va bientôt finir. 

ELLE : Je veux bien me laisser séduire par une difficulté, mais pas question de sourire aux difficultés qui me harcèlent… La principale difficulté de la difficulté – on nous le répète aussi – c’est qu’elle n’arrive jamais seule. Face au pluriel de la chose, le charme agit-il toujours ? Ou est-ce que, sorti de l’affrontement héroïque (abstrait, théorique) avec cette superbe difficulté au singulier, tu ne te heurtes pas, comme moi, à la résistance durable, répétitive, lancinante des tristes difficultés au pluriel ? On n’a rarement qu’une difficulté : Petit Gibus a des difficultés scolaires, les Rougon-Macquart ont des difficultés familiales, j’ai des difficultés financières, beaucoup ont des difficultés relationnelles, matérielles ou professionnelles ; et ces difficultés, souvent, tel un chapelet diabolique, s’égrènent et nous enchaînent. Difficile d’aimer les difficultés qu’on traverse soi-même. Plus difficile encore d’aimer les difficultés qu’endurent les autres, face auxquelles on se sent trop souvent impuissant.

LUI : Tu remarques que, tout de même, les difficultés, ça se traverse. Même au pluriel, on ne s’y s’arrête pas.

ELLE : Parce qu’elles-mêmes nous traversent ! Elles changent, se métamorphosent, nous quittent et reviennent. Jour après jour, elles font retour : c’est le propre des difficultés, elles sont sans terme visible. Bref : on ne s’y arrête peut-être pas mais cela ne veut pas dire qu’on s’en sort, qu’on se sort de tout ou que tous s’en sortent ! Et moi je ne me sors pas de tout cela. Car c’est difficile d’aimer l’amie qui a des difficultés à dormir, l’ami qui a des difficultés à aimer, celle qui ne parvient pas à faire son deuil ou celui qui peut à peine vivre en société. Mais tu vois, je te concède cela sans esquive : ces difficultés-là, particulières et concrètes, valent la peine et nos efforts ; c’est peut-être pour ces amis difficiles, qui te mettent souvent à l’épreuve, que tu aimes si passionnément la difficulté…

LUI : Je ne vois pas le rapport. On ne parle pas de nous, là : on essaie de définir la difficulté, au singulier ou au pluriel, mais en général. On reprend ?

 

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