Capital n° 1
 
 


Mathias Ecoeur

10/10/2015

 

Contrairement à ce que l’Académie préconise, le terme de capital n’est qu’imparfaitement issu du latin capitalis. L’origine caput, bien sûr, est présente encore dans certaines expressions, telle peine capitale – qui ne signifie donc pas peine importante, mais manifeste simplement le risque de la décapitation. Certes, il peut s’agir toujours de perte (mais pas celle de la tête, quoiqu’il y aurait là quelque chose à creuser aussi) dans l’origine ô combien plus importante découverte dans un dialecte fort ancien, et presque inconnu, dont il n’existe pour trace aujourd’hui que quelques gravures découvertes par un archéologue anglais au XIXè siècle dans les ruines de la tour de Babel (découverte bien injustement éclipsée par le déchiffrement de la pierre de Rosette). Capital, donc, du bas-badin littéraire capitus et de sa variation vulgaire cabitus, le premier ayant donné capiton alors que le second trouve sa descendance en français dans bide. On notera l’ajout au report des connotations littéraire/vulgaire une distinction d’ordre culturel – alors que le premier terme reste très général, le second a une prédisposition certaine pour le genre masculin. Mais trêve de circonférences.

Le capital par son origine désigne ainsi un amas graisseux. Que l’on ne s’y méprenne point : contrairement à leur progéniture (bide en particulier) capitus et cabitus ne font intrinsèquement état d’aucune appréciation de la chose (ni morale ni esthétique – ou de quelque autre nature que ce soit). Cela sans doute car la seule accumulation n’est pas en cause, proche de ce que Foucault décrivait (mais chez les Grecs, non chez les Badins) des régimes en rapport avec la sexualité (voir Histoire de la sexualité, 3 tomes). Il en découle une perspective quasiment métaphorique qui fait du capital(a) ce qui permet d’affronter un hiver et a vocation, à cette fin et en temps voulu, à s’accumuler et (b) ce qui au retour des chaleurs doit s’éliminer par souci de confort et de santé ; la masse se fond alors dans le circuit énergétique par la reprise des travaux agricoles les plus physiques (dont dépend la nouvelle capitalisation nécessaire à l’automne suivant). Le capital, dans sa forme saine, suppose donc un mouvement, ou plus précisément une oscillation, une adaptation constante et une circulation.

Les usages actuels et les dérivés de capital renvoient généralement à ce cycle (a) en tant qu’il est respecté : usages généralement mélioratifs, connotations positives du Confortable dans lequel s’agglomèrent la sécurité et le douillet ; (b) en tant qu’il est déjoué, ce qui engendre deux figures selon la nature de sa perversion : (b1) réduction ou (b2) accumulation. (b1) Figure de l’Ascète telle que critiquée par Nietzsche, anorexie qui n’ouvre vers aucune puissance, vide qui se vide, n’en finit pas de se vider, finira aussi mort que ce Dieu dont l’absence insupportable inspire l’idéal ascétique. (b2) Figure du Goinfre, du paysan devenu propriétaire terrien au fil des générations, image de l’industriel ou du financier d’avant 29, gilet tendu, haut-de-forme (NB. D’où la nécessité de ne point confondre le capital et le capitalisme – qui n’en est qu’une excroissance, une déformation), « patrimoine » ou « capital » culturel, ceux qui présentent l’école comme un long Gavage de bourrelets de savoir dont la fadeur ou les relents de poussière n’excitent plus guère les papilles, et qui grelotte tout juste encore, au gré des habitus, du tremblement infini qui fut jadis (ou hier) le sien.

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