Exergue n° 95

 

« Oxford m’a fortifié dans l’idée de ne pas vous faire un cours. Je m’ennuie si je visite ses cloîtres et ses parcs où poussent les fleurs de Burne Jones. La merveille d’Oxford, ce sont ses boutiques. Là, les langues mortes deviennent vivantes. Toutes les vitrines répondent à un désir de la jeunesse. On les échafaude, on les éclaire pour la tenter. Je n’ai aucune honte à dire que le musée d’Ashmole me donne des crampes et que les rues me dégourdissent les jambes. En admirant ces piles de boîtes à cigarettes, de pipes, de fleurs, de viandes, de cravates, de gants, de tricots chinés et les maisons avec leurs portes à colonnes et à fronton, chacune comme un petit temple de la famille, j’ai pensé que les musées étaient pleins de vieux costumes de Ramsès et qu’il valait mille fois mieux voir les magasins. » 

Jean Cocteau, « D’un ordre considéré comme une anarchie »
(allocution prononcée au Collège de France le jeudi 3 mai 1923),
dans Le Rappel à l’Ordre, Stock, 1926 (rééd. 1948), pp. 242-243.

 
 



Lise Forment

09/11/2013

— Vous savez, les boutiques d’Oxford ont bien changé : ce bric-à-brac n’est plus. À la place des piles de toutes sortes, vous trouverez l’ordre implacable des grandes enseignes et le désordre savamment arrangé du faux vintage. C’est vrai qu’on y court toujours entre les cours, on les désire encore, ces boutiques, malgré tout, malgré soi. On s’y sent même vivant quelquefois.

Mais, je vous assure, il vaut mille fois mieux voir le musée d’Ashmole, les cloîtres et les parcs où poussent les fleurs de Burne Jones. C’est là qu’on revient, c’est là la merveille.

— Les fleurs de Burne Jones... Vous voilà bien niaise ! Vous vénérez le passé, les musées... et même sans doute cette université à l’ancienne, le temple des Humanités !

— Patience, je ne vous ai pas tout dit. Je me demande si Cocteau, lors de son voyage, avait visité le musée anthropologique. Au Pitt Rivers, il n’aurait pas vu de vieux costumes de Ramsès, mais d’affreuses têtes réduites. Les enfants les adorent. Elles sont effrayantes. Terriblement dérangeantes. Cela fait longtemps, vous savez, qu’Oxford et ses langues mortes sont sortis de leur confort.

  

   

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